mardi, septembre 12, 2006

La femme et le paysage




Stefan Zweig, extrait

Une chaise à coté de moi bougea. Je sursautai. Chaque bruit à présent me faisait l'effet d'un fer rouge frôlant mon corps. Je regardai. Des gens s'étaient installés, de nouveaux voisins que je ne connaissais pas encore. Un monsieur d'un certain âge et sa femme, des bourgeois calmes aux yeux ronds et froids, aux joues qui mastiquaient. Mais en face d'eux, me tournant le dos à demi, une jeune fille, leur fille sans doute. Je ne voyais que sa nuque blanche et fine, surmontée d'une épaisse chevelure noire, presque bleue, comme une casque d'acier. Elle était assise là sans bouger. A son attitude figée, je reconnus celle que j'avais vue sur la terrasse, languissante, ouverte à la pluie comme une blanche fleur assoiffée. Ses petits doigts, d'une minceur maladive, jouaient avec son couvert, sans pourtant faire de bruit; et ce silence autour d'elle me fit du bien. Elle non plus ne touchait à aucun plat. Je la vis juste une fois saisir avidement son verre avec précipitation. Ah ! elle aussi connaissait la fièvre de l'univers ; je le sentis avec bonheur à son geste d'assoiffée, et mon regard enveloppa mollement sa nuque d'une amicale sympathie. J'avais à côté de moi, je m'en rendais compte à présent, un être qui n'était pas séparé de la nature comme les autres, qui brûlait de la même ardeur que le monde embrasé, et j'aurais voulu qu'elle reconnût notre fraternité. J'aurais aimé lui crier : "Sens donc ma présence ! Sens-moi donc ! Moi aussi je suis éveillé comme toi, moi aussi je souffre ! Sens-le donc ! Sens-le ! " L'ardent magnétisme de mon désir l'entourait. Je regardais fixement son dos, mon regard la pénétrait, caressait ses cheveux comme de loin, je l'appelais des lèvres, je la pressais contre moi, je la fixais sans arrêt, je projetais hors de moi toute ma fièvre afin qu'elle la sentît fraternellement. Mais elle ne le sentait pas. Elle restait immobile, froide et lointaine comme une statue. Personne ne venait à mon aide. Elle non plus n'éprouvait pas ma souffrance, ne communiait pas avec l'univers. Moi seul brûlais.

Huile sur lin, 81 x 54

jeudi, février 02, 2006

Lied Vom Kindsein


Peter Handke


Als das Kind Kind war,
ging es mit hängenden Armen,
wollte der Bach sei ein Fluß,
der Fluß sei ein Strom,
und diese Pfütze das Meer.

Als das Kind Kind war,
wußte es nicht, daß es Kind war,
alles war ihm beseelt,
und alle Seelen waren eins.

Als das Kind Kind war,
hatte es von nichts eine Meinung,
hatte keine Gewohnheit,
saß oft im Schneidersitz,
lief aus dem Stand,
hatte einen Wirbel im Haar
und machte kein Gesicht beim fotografieren.

Als das Kind Kind war,
war es die Zeit der folgenden Fragen:
Warum bin ich ich und warum nicht du?
Warum bin ich hier und warum nicht dort?
Wann begann die Zeit und wo endet der Raum?
Ist das Leben unter der Sonne nicht bloß ein Traum?
Ist was ich sehe und höre und rieche nicht bloß der Schein einer Welt vor der Welt?
Gibt es tatsächlich das Böse und Leute,
die wirklich die Bösen sind?
Wie kann es sein, daß ich, der ich bin,
bevor ich wurde, nicht war,
und daß einmal ich, der ich bin,
nicht mehr der ich bin, sein werde?
Als das Kind Kind war,
würgte es am Spinat, an den Erbsen,
am Milchreis, und am gedünsteten Blumenkohl.
und ißt jetzt das alles und nicht nur zur Not.

Als das Kind Kind war,
erwachte es einmal in einem fremden Bett
und jetzt immer wieder,
erschienen ihm viele Menschen schön
und jetzt nur noch im Glücksfall,
stellte es sich klar ein Paradies vor
und kann es jetzt höchstens ahnen,
konnte es sich Nichts nicht denken
und schaudert heute davor.
Als das Kind Kind war,
spielte es mit Begeisterung
und jetzt, so ganz bei der Sache wie damals,
nur noch, wenn diese Sache seine Arbeit ist.

Als das Kind Kind war,
genügten ihm als Nahrung Apfel, Brot,
und so ist es immer noch.

Als das Kind Kind war,
fielen ihm die Beeren wie nur Beeren in die Hand
und jetzt immer noch,
machten ihm die frischen Walnüsse
eine rauhe Zunge
und jetzt immer noch,
hatte es auf jedem Berg
die Sehnsucht nach dem immer höheren Berg,
und in jeden Stadt
die Sehnsucht nach der noch größeren Stadt,
und das ist immer noch so,
griff im Wipfel eines Baums
nach dem Kirschen in einemHochgefühl
wie auch heute noch,
eine Scheu vor jedem Fremden
und hat sie immer noch,
wartete es auf den ersten Schnee,
und wartet so immer noch.

Als das Kind Kind war,
warf es einen Stock
als Lanze gegen den Baum,
und sie zittert da heute noch.
Huile sur papier, 30x40

lundi, janvier 02, 2006

La toque de Clementis

Milan Kundera, Le livre du rire et de l'oubli, extrait

En février 1948, le dirigeant communiste Klement Gottwald se mit au balcon d'un palais baroque de Prague pour haranguer les centaines de milliers de citoyens massés sur la place de la Vieille Ville. Ce fut un grand tournant dans l'histoire de la Bohême. Un moment fatidique comme il y en a un ou deux par millénaire.Gottwald était flanqué de ses camarades, et à côté de lui, tout près, se tenait Clementis. Il neigeait, il faisait froid et Gottwald était nu-tête. Clementis, plein de sollicitude, a enlevé sa toque de fourrure et l'a posée sur la tête de Gottwald.La section de propagande a reproduit à des centaines de milliers d'exemplaires la photographie du balcon d'où Gottwald, coiffé d'une toque de fourrure et entouré de ses camarades, parle au peuple. C'est sur ce balcon qu'a commencé l'histoire de la Bohême communiste. Tous les enfants connaissaient cette photographie pour l'avoir vue sur les affiches, dans les manuels ou dans les musées.Quatre ans plus tard, Clementis fut accusé de trahison et pendu. La section de propagande le fit immédiatement disparaître de l'Histoire et, bien entendu, de toutes les photographies. Depuis, Gottwald est seul sur le balcon. Là où il y avait Clementis, il n'y a plus que le mur vide du palais. De Clementis, il n'est resté que la toque de fourrure sur la tête de Gottwald.

Huile sur papier, 42 x 56